Hizz ya Wizz (Affreux, cupides et stupides) de Ibrahim Letaief : Léger… trop léger !

Le nouveau film de Ibrahim Letaïef est une comédie burlesque, confirmant la «vocation comique» de son auteur depuis le fameux court métrage Visa (Tanit d’or des JCC 2004).

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Ahmed Hafiane dans le rôle de Hédi, chef des « Cops »

Le film est composé selon un procédé très simple : une série de gags visuels qui se succèdent dans un comique extravagant, saugrenu, voire grotesque.  Quant aux personnages, il nous propose trois types qui illustrent parfaitement les trois catégories citées dans le titre : les affreux (les salafistes armés), le cupide (le producteur escroc) et les stupides (les policiers). L’intrigue est simpliste : Soltan, un minable producteur, organise un casting pour une fausse «star académie» dans le seul but de soutirer de l’argent aux jeunes «talents en herbe». Il réussit ainsi à amasser une somme importante. Mais voilà qu’un groupe salafiste s’empare du butin suite à une attaque armée. Intervient alors Hédi, le chef de la police et ses hommes (Les cops). Tout ce monde-là est peint sous forme de caricature qui met en exergue le caractère ridicule et satirique des personnages. Les événements se déroulent au milieu d’un décor irréel d’une ville imaginaire avec des costumes non sans rappeler  un certain cinéma italien des années cinquante et soixante. Se succèdent alors les courses-poursuites, les scènes bouffonnes, les quiproquos humoristiques et les dialogues à tonalité comique qui visent à railler et à fustiger par le truchement d’un humour trivial et grotesque une certaine bêtise qui s’est propagée au sein de la société tunisienne après la révolution.

Sur jeu

Tous les ingrédients ou presque d’une bonne sauce de comédie sont là. Mais dans la comédie, il n’y a pas de recette miracle. Ainsi, au final, on peut dire que le film de Ibrahim Letaïef, qui reste globalement sympathique, offre peu de situations qui font vraiment rire. Tout d’abord, à cause d’un casting peu convaincant : si le jeu d’un Ahmed Hafiène ou d’un Taoufik El Ayeb a donné lieu à une interprétation magistrale impeccable,  le choix de certains acteurs comiques connus à la télé tels que Fouad Letaiem, Kaouther Belhadj, Saoussen Maalej ou encore le duo Fayçal Lahdhiri et Bassem Hamraoui n’était nullement judicieux. Ils ont été généralement dans le «sur jeu», tout en gardant leurs mêmes tics et gestes qu’ils produisent à la télé. Si le rôle incarné par Fatma Ben Saïdane est tellement insignifiant et marginal qu’il n’offre pas la possibilité d’une évaluation, celui joué par Afef Ben Mahmoud, montre que celle-ci n’a pas perdu de son talent et qu’elle peut encore faire du chemin dans sa vocation d’actrice. Quant à Chedly Arfaoui, il joue plutôt correct mais presque sans passion, donnant l’impression que le registre comique ne lui convient guère. Par ailleurs, des personnages très drôles et authentiques, tels que l’inspecteur Rabii Al Arabi (Printemps Arabe ! ), l’adjoint du chef des «cops», le commerçant libyen et même le policier amusant qui  garde l’entrée du poste de police, paraissent comme sacrifiés  malgré l’apport comique certain qu’ils auraient pu donner au film.

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Ibrahim Letaief (photo Anais Barelli)

D’autre part, le film abuse des clichés et ne puise nullement dans un style comique original. Ainsi, les personnages et les situations de base, qui offrent un potentiel burlesque incontestable, n’ont  pas été, à notre sens, exploités à bon escient. Au point qu’on se sent à un certain moment face à une série de blagues vulgaires et de mauvais goût. Par moments, l’action semble complètement figée, laissant la place à des plans insignifiants. Le décalage comique entre le registre sérieux et dramatique dans lequel évolue le personnage de Hédi, le chef des «cops» d’une part, et le comportement burlesque et grotesque des autres personnages, d’autre part, n’ont pas été suffisamment mis en valeur.

Hizz ya Wizz s’inscrit clairement dans un genre cinématographique très difficile qui fait défaut dans le cinéma tunisien, à savoir la comédie.  Car hormis le fameux Les deux larrons en folie (Farda we Ilkat okhtha), réalisé par Ali Mansour en 1982, et les deux films réalisés par la suite par Mohamed Damak : La coupe en 1986 et La villa en 2003, nos cinéastes sont bizarrement peu enclins au genre comique. Or, Letaïef a eu l’audace et le mérite dès le début de sa carrière de faire des films légers qui ont pour but de faire rire un public lassé d’un soi-disant cinéma d’auteur moribond et morose.

                                                                                                                                                           Mahrez Karoui

La Presse du 25/09/2013

Equipe du film :
Titre original : Hezz ya Wizz
Titre français : «Affreux, Cupides et Stupides»
Scénario et réalisation : Ibrahim Letaïef
Producteurs délégués : Ibrahim Letaïef et Riadh Thabet
Production :  Les films Long et Court et Ulysson
Image :    Mohamed Maghraoui
Son : Moncef Taleb
Musique : Zeid Hamdene
Montage : Fakhri El Amri
Sound Designer :    Faouzi Thabet
Interprétation : Ahmad Hafiène, Fatma Ben Saïdane, Saoussen Maalej, Kaouthar Belhaj, Taoufik El Ayeb, Chedly Arfaoui, Foued Litaiem, Mohamed Aly Damak, Fayçal Lahdhiri et Bessam Hamraoui.

Filmographie de Ibrahim Letaïef
2000 : Un rire de trop (CM)
2004 : Visa (CM)
2006 : Je vous ai à l’œil (CM)
2009 : Cinecitta (LM)
2013 : Hizz ya Wizz (LM)

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