FESPACO 2015: Et notre part du cinéma ?

Aff Fespaco 2015

Fespaco 2015: Affiche ofiicielle

Quelques jours seulement nous séparent d’un événement artistique majeur. Une grande manifestation se tiendra vers la fin de ce mois dans la capitale voisine Ouagadougou. La 24ème édition du Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou (FESPACO) aura lieu du 28 février au 07 mars prochain. Ce festival s’est érigé, au fil du temps,  en un rendez-vous incontournable pour le cinéma en Afrique. Comédiens, techniciens, réalisateurs, producteurs, distributeurs, journalistes et critiques venant des quatre coins du continent mais  également du reste du monde, vont artistiquement  « squatter », durant une semaine, la capitale de Faso.

Placé sous le thème « Cinéma Africain : production et diffusion à l’ère du numérique », le  FESPACO 2015 se propose, cette année,  d’offrir à l’Afrique l’occasion de s’interroger, le temps d’un festival, sur l’avenir de son (ses) cinéma(s). L’on se demande tristement s’il est encore autorisé de parler d’avenir du cinéma sous le ciel africain. Car en dehors de trois pays qui ont un parcours assez particulier à savoir l’Egypte, l’Afrique du Sud et plus récemment le Maroc, l’état des lieux du cinéma dans le reste des  pays africains nous renvoie à la triste réalité d’un secteur culturel dévasté. Certes, il existe encore par – ci, par là des cinéastes « têtus » qui s’obstinent à faire des films qui n’ont aucune chance – en dehors  des festivals – de rencontrer un public africain. Certes, il existe toujours une direction ou un département cinéma au sein de chaque ministère de la culture dans les gouvernements africains. Certains pays gardent toujours (ou ont décidé enfin d’en créer !) une structure qui fait foi de CNC (Centre ou Office National du Cinéma) dédiée à la cause (perdue ?) du Septième Art.  Des budgets infimes pour ne pas dire ridicules continuent à être alloués au cinéma par les autorités publiques.  Mais si on exclut les trois pays cités plus haut, combien peut – on dénombrer de salles de cinéma dans les pays africains? Combien de films produisent ces Etats ? Combien de sorties  de films africains enregistre – t – on chaque année ? La réponse à ces interrogations est pratiquement sans appel. Le cinéma se meurt en Afrique. Lentement mais assurément.

Le problème dans l’intitulé  que propose les frères burkinabé est qu’il donne l’impression qu’en Afrique, il existe une « industrie cinématographique » et que la question aujourd’hui est comment cette industrie va – t – elle se comporter face à ce vaste chantier du numérique qui secoue la planète ?! Si au niveau de la production, la nouvelle donne du numérique pourrait apporter éventuellement quelques solutions par rapport au coût et à la logistique de fabrication des films, il est moins probable que la transition numérique ait un quelconque impact sur un secteur de la distribution qui n’existe même pas. Le parc plus au moins modeste des salles de cinéma, qui animaient  jadis la vie culturelle dans les villes africaines, a définitivement disparu  à l’exception  heureusement de quelques petites salles qui continuent çà et là à résister comme si pour nous rappeler que les salles africaines ont été lâchement et froidement «assassinées».

Le public africain d’aujourd’hui se trouve injustement  privé d’écrans. Ce n’est plus le cas des villes et des villages reculés dans l’arrière pays mais c’est désormais la triste réalité vécue par les grandes métropoles africaines. A Abidjan, comme à Tunis ; à Alger comme à Bamako ; à Dakar comme à Kinshasa, le mot même «salle de cinéma » n’a presque plus de sens pour l’écrasante majorité des jeunes. Ainsi, il n’est pas étrange aujourd’hui de croiser en Afrique des jeunes entre vingt et trente ans, bien instruits et parfois très bien cultivés, qui n’ont jamais été de leur vie dans une salle obscure. Ils connaissent certes le cinéma par le biais d’internet, du DVD ou de la télé mais ils ont rarement, sinon jamais, vu un film africain. Le cinéma africain a perdu non seulement l’actuelle génération du public mais fort probablement les deux prochaines générations aussi.  Dans ce contexte à la fois affligeant et amer, peut – on oser parler du numérique ou de la technologie du DCP[1] comme solutions magiques pour la renaissance du cinéma africain ?

L’on pourrait taxer facilement ce constat de « vision (trop) pessimiste ». Prenons alors un exemple plus proche et plus récent mais surtout plus éloquent : En 2014, la Côte d’Ivoire a été à l’honneur au Festival de Cannes  et ce grâce au film « Run » de l’ivoirien Philippe Lacôte. Il s’agit là d’une sorte de  consécration et pour le cinéaste et pour le pays. Sauf que voilà presque une année après, le film n’a pas trouvé son chemin vers le public ivoirien. Une sortie nationale organisée simultanément avec la sortie française du film a été bel et bien lancée ici même à Abidjan vers la mi- Décembre. Le cinéaste lui-même est venu de Paris promouvoir son film auprès de ces compatriotes. Or, faute de salles et d’espace de projection, la sortie s’est limitée à un seul écran (celui de  la salle La Fontaine) avant que le film ne soit vite retiré au bout de quelques jours pour laisser la place à un navet à deux sous ! Que de frustration pour le cinéaste mais également pour le public.

https://www.youtube.com/watch?v=aaXhLXCR7rk

Face à une telle décadence, un autre débat d’une dimension tout à fait différente s’impose aux professionnels et aux décideurs africains : Comment inscrire le cinéma dans la politique générale pour l’émergence que suivent actuellement plusieurs pays africains et notamment la Côte d’Ivoire ? L’accès au cinéma (en termes de création et de consommation) ne relève – t – il pas, lui aussi, des droits inaliénables des peuples africains ?  N’est – ce pas le cinéma, plus que n’importe quelle autre forme de création artistique, qui permettra aux africains de s’approprier à la fois leur image, longtemps confisquée, et leur imaginaire, simplement difformé ?

Mahrez Karoui

Publié le 19/02/2015 dans Fraternité Matin – Abidjan

[1] Digital Cinema Package (DCP) est l’équivalent en cinéma numérique de la copie de projection qui, en cinéma traditionnel, se présentait sous forme de bobines de film argentique 35 mm. Un DCP est composé d’un ensemble de fichiers informatiques (images, sons, sous-titres, etc…) qui sont destinés à être stockés sur un serveur et joués dans la cabine de projection par un lecteur de DCP, couplé à un projecteur numérique.

Une réflexion sur “FESPACO 2015: Et notre part du cinéma ?

Laisser un commentaire