L’édition abidjanaise des Trophées Francophones 2015

Timbuktu d’Abderrahmane Sissako reçoit une nouvelle consécration, la Tunisienne Kaouther Ben Hania est consacrée meilleure réalisatrice de l’année, et l’actrice burkinabé Maimouna Ndiaye confirmée comme nouvelle étoile montante du cinéma africain. Voilà en gros les moments forts de cette 3ème édition des Trophées Francophones qui se sont  déroulées récemment  à Abidjan.

Panel 22

Participants au débat  » Quel avenir pour une entreprise indépendante ivoirienne d’exploitation cinématographique ? « 

Organisé depuis 2013, par l’AFTCiné (Association des Trophées Francophones du Cinéma), ce festival, pas comme les autres, a atterri cette année sur les rives lagunaires de la ville d’Abidjan. Du 23 Novembre au 05 décembre, Babi (c’est ainsi que les Abidjanais aiment appeler leur ville) a été durant deux semaines la capitale cinématographique du monde francophone. Un riche programme de projections de films, de panels de discussions, de masters classes et de débats, a été offert au jeune public ivoirien. Pas moins de 26 longs métrages, en plus de plusieurs films courts, ont été montrés au public du célèbre quartier populaire d’Abobo mais également à la salle Majestic Ivoire récemment restaurée et rouverte au public. Le somptueux palais de la culture d’Abidjan situé au bord de la lagune, du côté de Treichville, a quant à lui reçu le cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako pour une magistrale leçon de cinéma face à une foule très attentive de jeunes cinéastes et d’étudiants.

Une table ronde a réuni les professionnels autour du thème  » Quel avenir pour une entreprise indépendante ivoirienne de production d’œuvres cinématographiques et de programmes audiovisuels ? » Modérée par le producteur Boris Van Gils et en présence de M. Malidou Diakite Coulibaly, président du Fonds de Soutien à l’Industrie Cinématographique en Côte d’Ivoire (Fonds SIC) et de Mme Sandra Coulibaly de la chaine nationale RTI, cette rencontre a donné la parole à la jeune cinéaste Anna Ballo pour évoquer son expérience avec la chaine web  » Bogolan TV « . Celle-ci a expliqué qu’à défaut d’un vrai circuit de distribution et en l’absence de salles de cinéma dans le pays, elle était contrainte à se tourner vers le net, en créant sa propre plateforme de distribution qui vite a eu un grand succès auprès des internautes en réalisant plus de quatre millions de vue. C’est pour elle un mode de production et de diffusion alternatives qui, de plus, est capable de générer d’importants bénéfices qu’elle investit dans la production. Et la jeune réalisatrice-productrice de préciser qu’en l’absence d’une vraie politique de soutien au cinéma, elle a pu inventer par ses propres moyens un système indépendant de production. Un modèle réussi qui n’a pas tardé à susciter l’intérêt des grandes firmes de la diffusion par internet telle que Youtube pour la signature d’éventuels contrats de partenariat. Anna Ballo est convaincue que l’avenir du cinéma africain réside peut être dans ce nouveau modèle et que le continent, une fois connecté à la grande toile, offrira un vaste marché pour les productions africaines avec un potentiel de 700 millions de consommateurs. Sandra Coulibaly, la représentante de la RTI, a, quant elle, déclaré que la télévision ivoirienne financera désormais des productions cinématographiques et audiovisuelles.

Un autre débat a été consacré par la suite à la question  » Quel avenir pour une entreprise indépendante ivoirienne d’exploitation cinématographique ?  » Animé par Jean-Marc Béjani, exploitant et directeur du Majestic Ivoire, ce panel a réuni Fréderic Godfroid de la maison Pathé,Jean Pierre de Vidas de Film 26, Cyril Burkel de Metropolitan Film Export, Berni Goldblat de Ciné Guimbi et Malika Chaghal de la Cinémathèque de Tanger. Les participants étaient tous unanimes sur le fait qu’aucun mode de diffusion ne pourra remplacer la salle de cinéma et que les pays africains ont intérêt à restaurer voire même recréer leurs parcs de salles de cinéma condition sine qua non pour l’émergence et le développement des cinématographies nationales. Selon Fréderic Godfroid :  » Ni le piratage, ni la diffusion sur le web et via les Smartphones ne viendront à bout de la salle de cinéma. Et ce n’est pas la réduction des prix des tickets d’entrée qui va drainer le public mais plutôt la qualité et de l’image et du son et le confort des sièges offerts par la projection dans une salle de cinéma« .
Berni Goldblat de Ciné Guimbi au Burkina Faso et Malika Chaghal de la Cinémathèque de Tanger au Maroc ont présenté tous les deux leurs expériences de diffusion cinématographique de type associatif. Le Ciné Guimbi, projet lancé à Bobo-Dioulasso par l’Association de soutien du cinéma au Burkina Faso, a réussi le sauvetage et la réhabilitation de la mythique salle de cinéma  » Ciné Guimbi  » menacée auparavant de disparaitre définitivement. Quant à la cinémathèque de Tanger,Malika Chaghal a précisé que malgré un parc de salles composé de 59 écrans dont 49 entièrement numérisés, la distribution marocaine est dominée par des productions sans grand intérêt culturel. C’est pour cela que la Cinémathèque de Tanger, salle de cinéma gérée par une association à but non lucratif, a choisi de montrer des films d’auteur, des documentaires de création et des courts métrages offrant au public de Tanger une sélection de films de qualité exclus par les circuits traditionnels de distribution.

Ces activités ont été couronnées par la grande soirée de la remise des Trophées Francophones du cinéma aux meilleures productions de l’année. C’est dans la grande salle du palais de la culture qu’a eu lieu cette cérémonie présidée par la célèbre actrice française Julie Gayet. Les organisateurs ont rendu un vibrant hommage au cinéaste ivoirien Henri Duparc disparu il y a dix ans, avant de procéder à la distribution des prix tant attendus.
Dans le palmarès de cette année, on peut citer l’acteur ivoirien Abdoul Karim Konaté qui s’est vu attribuer le Trophée de la meilleure interprétation masculine pour son rôle dans le film Run dePhilippe Lacôte qui évoque le parcours d’un jeune ivoirien en pleine guerre civile. Quant à la meilleure interprétation féminine, elle a été décernée à l’actrice sénégalaise établie au BurkinaMaïmouna N’Diaye pour son rôle dans L’œil du cyclone de Sékou Traoré. Elle y campe avec brio une jeune avocate idéaliste qui se trouve à défendre un criminel de guerre. Un rôle pour lequel Ndiaye a déjà remporté le Tanit de la Meilleure Actrice aux dernières JCC. La jeune tunisienne Kaouther Ben Hania a été consacrée meilleure réalisatrice de l’année 2015 pour son premier long métrage Le Challat de Tunis qui relate l’extraordinaire histoire d’un jeune délinquant qui s’attaque aux femmes dans les rues de la capitale tunisienne. Enfin, Timbuktu d’Abderrahmane Sissako a reçu le Trophée du meilleur long métrage de 2015. Un film récompensé déjà par sept Césars ; ce qui ne manque pas de confirmer Sissako comme auteur majeur du cinéma africain. Ces quatre films primés ont bénéficié d’un soutien financier du Fonds Image de la Francophonie (OIF / CIRTEF).

Mahrez Karoui
Correspondant permanent à Abdijan, magazine Africiné (Dakar)
pour Images francophones

Image : Participants au débat  » Quel avenir pour une entreprise indépendante ivoirienne d’exploitation cinématographique ?  »
Crédit : Mahrez Karoui, 2015

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